commémorer en ligne?

frédéric clavert
frederic.clavert@uni.lu / inactinique.net

16 janvier 2024

qui suis-je?

histoire des relations internationales

histoire numérique

digital memory studies

#ww1 / le centenaire de la grande guerre sur twitter

introduction: le goût d’un jour de fête?

Clavert, Frédéric, and Deborah Paci. ‘“Le Goût d’un Jour de Fête”? Commemorating the End of the Second World War on Twitter during the Lockdown: A Comparison between France and Italy’. The Covid-19 Pandemic Memory. Remembrance, Commemoration, and Archiving in Crisis, edited by Orli Fridman and Sarah Gensburger, Palgrave Macmillan, 2024.

Je vais commencer mon intervention par parler de la commémoration de la Seconde Guerre mondiale, qui plus est en confinement. Dans ce volume co-dirigé par Sarah Gensburger et Orli Fridman, nous avons essayé de comparer avec Deborah Paci la commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale en France (le 8 mai) et en Italie (le 25 avril).

La comparaison a ses limites:

le 8 mai n’a absolument pas la légitimité du 11 novembre, son histoire est plus complexe et c’est une commémoration très concurrencée;
l’exemple italien montre aussi qu’on est dans une logique “on life”: par là je veux dire, qu’il y a intrication entre ce qui se passe sur le terrain physique et sur le terrain virtuel. Et en confinement, les traditions italienns – les fameux chants sur les balcons – se prêtaient mieux à une commemoration en ligne d’une part. En outre, il y a eu au moins une initiative privée pour commémorer en ligne en Italie.

« Ce 8 mai ne resemble pas à un 8 mai.
Il n’a pas le goût d’un jour de fête »

commémorer en ligne pendant le centenaire? l’exemple de twitter

twitter

api

simple répartition des tweets dans la base de données
donne une idée de la hiérarchie des commémorations
donne une idée du lien entre commémoration sur site et commémoration en ligne
- on parle d’«on-life»: il y a un lien enrte réel et virtuel
il y a aussi une hiérarchie linguistique
- surtout tweets en anglais (80%), français (15%), puis autres langues. Peu d’allemand, alors que hashtags collectés contenaient aussi des hashtags allemands.
- la plupart des pics que l’on voit ici sont anglophones mais avec exceptions:
  - les 11 novembre (à relativiser), la bataille de Verdun
  - La Somme est une commémoration majoritairement anglophone
  - attention, ‘majoritaire’ ne veut pas dire ‘uniquement’
il y a des commémorations récurrentes (11 novembre et dans une moindre mesure Verdun ou la Somme)

Il y a des exceptions / anomalies:

Verdun en mai 2016,
11 novembre 2018.

vous avez ici une analyse du contenu francophone de ces tweets collectés de 2014 à 2019.
classification hiérarchique descendantes, méthode dite Reinert. Il s’agit, en regardant principalment les cooccurences de mots, de regrouper des tweets similaires dans des classes (cluster/profiles)
différents types de cluster:
- classes 11 et 12, par exemple, sont liés à la base de données des morts pour la France, ainsi que la classe 2
- classes plus liées aux commémorations elles mêmes:
  - classes 4 sont sur les modes de participation des politiques aux commémorations, notamment 11 novembre (macron, merkel, et cie)
  - commémorations elles-mêmes= classes 6 (vImy) ou 7
  - évocation des conditions du champs de bataille: classe 9
  - les controverses Verdun (13 et 10)
  - l’hommage (général) aux soldats
  - relation au document: classe 3 et 15
  - parfois des éléments soit d’information soit de publicité pour des événements, des publications, etc: classes 5 et 6

Grande variété et donne un aperçu assez global du Centenaire et de sa richesse.

que conclure?

les “cadres” de la mémoires collective de la Grande Guerre restent les mêmes en ligne ou hors-ligne
- une mémoire très centrée sur le Poilu mort pour la France
- plus centrée sur le champ de bataille dans le cas britannique, champ de bataille qui est l’intermédiaire entre les familles et les soldats tombés, puisque les corps n’ont pas été rapatriés

multiplicité des acteurs?
- musées, programmes de recherche, projet d’histoire publique, amateurs d’histoire, entrepreneurs de la mémoire, journalistes, historiens, etc.
- ces acteurs n’ont pas le même rôle en fonction des pays.
  - musées importants, structurants, ainsi que projet de public history dans le cas britannique
  - rôle fondamental de la Mission du Centenaire dans le cas français.
    - musées jouent rôle ausis en France mais pas nécessairement le même
question de la vitesse de circulation des informations (ie controverses)
- verdun

nouveauté: les pratiques
nouvelles pratiques incontestablement liées à:
- la longueur du Centenaire (institutions qui ont pu organiser des choses sur du long terme, comme la grande collecte)
- le principe collaboratif repose sur un mélange de top-down et de bottom-up
- le tout s’inscrit dans un phénomène: le retour des commémorations, qui s’épuisaient dans les années 1980 et ont repris dans les années 1990, pour la participation
- phénomène qui s’inscrit dans le fameux « boom mémoriel » (si on considère qu’il n’y en a qu’un seul – et s’il y en a plusieurs, le numérique en favorise clairement un)

De nouvelles pratiques commémoratives?

Et l’exemple paradigmatique de ces nouvelles pratiques, c’est 1 jour – 1 poilu.

commémoration collaborative
mais en partie en dehors des institutions
- certes, ministère de la Défense puis des Armées a mis à disposition le système d’indexation, mais pas de politique / communication pour le faire utiliser par les internautes par exemple.
- choc des cultures par moment: quand la base a été indexée, 1j1p qui est à l’origine d’une bonne partie des indexations n’est pas cité
- statut incertain de la base de données aujourd’hui.

Autres éléments à considérer:

liens avec la vie « réelle » (commémorations “on-life”): cf communication à l’occasion du Tour de France, de commémorations, locales, etc.

Mais surtout:

dans le communiqué, donc, annonçant l’indexation, pas de mention d’1j1P. Et cela est peut-être un symptôme: finalement, le ministère valide sa démarche de mise en place d’un dispositif technique sans réelle politique derrière.

commémorations en ligne et politique mémorielle

La question centrale de ce séminaire était me semble-t-il le futur des projets de commémoration du Centenaire.

Je ne doute pas qu’il continuera à en avoir.

Lorsqu’un groupe, dont j’ai fait partie, a tiré le bilan scientifique du Centenaire (je faisais la partie “nouveaux médias”), une discussion a pris lors de l’une des premières séances – à l’IHA d’ailleurs – autour de la question suivante: le Centenaire de la Grande Guerre allait-il tuer les recherches sur la Première Guerre mondiale, comme le Bicentenaire de la Révolution française a tué les recherches sur la Révolution française.

Il a vite été clair que les deux cas étaient différents. Toutefois, on pourrait se reposer une question ici, un peu différente, mais parallèle: le Centenaire de la Grande Guerre a-t-il tué, en France, la commémoration (de la Grande Guerre ou d’autres événements) en ligne?

C’est là que nous revenons au 8 mai, mais aussi aux travaux de Sarah Gensburger.

Je mets la couverture de ce livre – notamment un clin d’oeil à la question que je viens de poser: peut-on apprendre du passé des commémoration (en ligne)?

Mais c’est plutôt un livre à paraître, tirée de son habilitation, qui m’intéresse. Et dans ce livre, Sarah Gensburger analyse aussi la mémoire collective par les méthodes des sciences politiques, en s’arrêtant à l’État et à la politique mémorielle de la République française. Dans la lecture d’une partie de ce livre que Sarah m’avait fourni il y a quelques temps, il y a deux choses qui m’ont frappées:

la disjonction entre État et Nation par l’application des politique néolibérales. Cette disjonction donne aux politiques mémorielles un goût particulier à la mémoire collective: la politique mémorielle – ceci explique peut-être, plus qu’une collaboration avec Ricoeur finalement courte, l’insistance d’Emmanuel Macron autour de diverses commémorations – est alors vue comme une manière de palier cettedisjonction;
mais en parallèle, l’incapacité de l’État à avoir une politique mémorielle unifiée: de nombreux ministères, commissions, etc peuvent avoir des politiques mémorielles qui peuvent se contredire.
Finalement, même considérer la politique mémorielle comme appartenant au “pré carré de la présidence” (au même titre que la politique étrangère – d’ailleurs ça ne marche pas non plus) ne permet pas de mettre en place une grille d’analyse unifiée des initiatives mémorielles de l’État – l’Élysée n’arrive pas à donner le ton de la politique mémorielle de l’État.

C’est mon interprétation des travaux de Sarah Gensburger et je ne suis pas certain qu’elle cautionne cette interprétation d’ailleurs.

Alors pourquoi ce détour par les travaux de Sarah Gensburger?

explique une chose: l’État n’a pas la mémoire de sa politique mémorielle, ni n’est capable de regarder ce qui se fait en dehors de lui.
cela expliue cet étrange communiqué de 2018 (que je n’ai pas retrouvé, la mémoire du site du ministère des armées s’arrête en 2022) où le ministère des armées se félicite d’une indexation de la base de données des Morts pour la France sans réellement comprendre qu’il ne l’a pas fait, sans comprendre réellement la dimension collaborative et ce qu’elle implique (animer une communauté, donner des objectifs, faire monter des enjeux, etc)

(cf. Severo et l’impératif participatif)

cela explique, surtout, ce communiqué de la présidence frnçaise en mai 2020 qui, alors que mobiliser / organiser une commémoration en ligne aurait pu marcher, n’essaye même pas, au delà d’une demande de pavoiser les balcons qui n’a a prior que peu marché.

On arrive ainsi à la conclusion que le Centenaire semble avoir été, pour ce qui est de la commémoration en ligne, un moment particulier:

fait de RSNs auxquels on croyait encore, avant les mutations qui arrivent après Cambridge Analytica (2016, mais les conséquences sont visibles en 2017-2018) quand les RSNs s’y empêtrent et modifient – facebook – leurs algorithmes